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Quand tout a basculé

Myriam Gagnon

Le calme avant la tempête

En 2006, à 22 ans, j’étais à l’aube d’une nouvelle vie.

Je prenais une pause d’études et je m’exilais vers l’Ontario. Je m’adaptais assez bien à mon nouvel environnement. J’avais décroché un emploi que j’aimais bien, et je me faisais même des amis! Un tableau assez optimiste, sauf pour une petite ombre qui poignait. Je ne me sentais pas bien. J’avais passé ma dernière année à l’Université de Montréal à manquer beaucoup d’heures de cours, à sortir fréquemment des salles de classe, à faire moins d’activités en général : tout me paraissait anormalement éreintant.

Le vent se lève

À partir de l’automne, mon état de santé s’est vite détérioré. Je perdais beaucoup de poids. J’avais toujours faim. Je fondais plus rapidement que je ne pouvais dévorer des quantités de nourriture de plus en plus gigantesques. De grosses poignées de cheveux me restaient entre les mains quand j’essayais de redonner à ma crinière son lustre et un semblant de vie. J’ai toujours du mal, quand on me le demande, à décrire la soif que je ressentais. Une soif handicapante. Je passais mes journées à boire. Le plancher de ma voiture était jonché de bouteilles d’eau vides. J’avais le temps d’en boire trois ou quatre en me rendant à l’épicerie, à sept minutes de chez moi. En file à la caisse, j’étais stupéfaite de me rendre compte que mon panier comptait presque juste du liquide.

Fin octobre, ça ne pouvait plus continuer ainsi. Je me suis rendue à la clinique sans rendez-vous, où un docteur assez âgé m’a accueillie avec un air légèrement condescendant. Il a décidé que, comme j’étais en contexte d’adaptation à plusieurs nouveautés, j’avais une dépression. Il m’a renvoyée chez moi avec une petite tape dans le dos et une bouteille d’antidépresseurs. Je n’étais pas convaincue du diagnostic, mais je n’étais tellement plus capable de vivre ainsi que j’ai tassé tous mes doutes du revers de la main et commencé à prendre les pilules. Pour aller mieux.

Début octobre 2006, soit un mois avant de recevoir mon diagnostic.

 

L’ouragan

Après quatre ou cinq jours, j’ai commencé à comprendre que j’allais mourir. Mon état s’était considérablement aggravé. Je voulais arrêter de prendre ces pilules, mais je ne savais pas si je pouvais. Désespérée d’entendre un son de voix familier, j’ai appelé une pharmacie dans ma ville natale, au Québec. La pharmacienne m’a gentiment conseillé d’arrêter de prendre les pilules : ça ne faisait pas assez longtemps que je les prenais pour que ça ait un effet indésirable.

Je me souviens d’avoir ravalé mes larmes, soulagée, et de m’être assise avec un bol de crème glacée devant Annie et ses hommes.

C’était le dernier moment lucide que j’allais avoir dans les 24 prochaines heures.

J’ai passé cette fin de soirée et la nuit dans un état léthargique, couchée sur le plancher de la salle de bain dans une grande mare de vomi que j’essayais en vain d’éponger avec une bien trop petite débarbouillette.

Mon copain de l’époque travaillait de nuit. C’est comme ça qu’il m’a trouvée, le lendemain matin. Il a mis quelques heures à me convaincre d’aller à l’hôpital.

À mon arrivée au triage, j’avais peine à me tenir debout et à parler de façon cohérente. J’ai essayé d’expliquer le mieux possible à l’infirmière la nuit que j’avais passée. Je me souviens vaguement de m’être étendue sur deux bancs de la salle d’urgence, d’avoir mangé un bol de Froot Loops, et d’avoir essayé d’utiliser les toilettes. Après cinq heures d’attente, j’ai pu voir un docteur, qui a demandé des analyses de sang et des radiographies. Je n’ai pas été capable de passer les radiographies : je ne tenais plus debout. La technicienne m’a renvoyée vers la salle d’urgence. Dans le corridor, le docteur et deux ou trois infirmières se dirigeaient à toute vitesse vers moi avec un fauteuil roulant. Ils m’ont assise dedans et amenée aux soins intensifs. Pendant qu’ils m’installaient différents solutés et me branchaient à des machines, le docteur m’a expliqué que j’avais le diabète de type 1. Que mon taux de sucre actuel était de 36,3 mmol/L1. Que j’étais en acidocétose2.

Les nuages se dissipent

Dans les jours qui ont suivi, pendant que j’apprenais peu à peu à connaître cette maladie et l’ampleur de ce qui m’arrivait, j’apprenais aussi que, quand je me suis présentée à l’urgence, j’étais près du coma. Le docteur qui m’a placée aux soins intensifs était étonné que je sois encore consciente. Les traitements que j’ai reçus à la clinique sans rendez-vous et au triage de l’urgence étaient considérés comme des erreurs : le docteur aurait dû reconnaître les symptômes de diabète de type 1, et non me prescrire des antidépresseurs qui ont augmenté mon taux de sucre et failli me tuer. L’infirmière au triage, elle, aurait dû reconnaître les signes d’acidocétose, parce que là encore, j’ai failli y passer.

Un jour nouveau

Près de treize années ont passé depuis cet ouragan qui a déferlé sur ma vie.

Et j’ai envie d’ajouter ma voix à celles des battantes et battants qui connaissent les ravages de cette maladie et qui veulent sensibiliser le grand public à la réalité quotidienne des diabétiques de type 1, et faire connaître les symptômes à surveiller chez les enfants comme chez les adultes. Ce que j’ai vécu, d’autres le vivront. Des symptômes qui se manifestent et qui s’aggravent peu à peu, et puis une détérioration brutale qui peut mener au décès.

Source : FRDJ. « Quels sont les symptômes? », Qu’est-ce que le diabète de type 1?, [En ligne]. [https://www.frdj.ca/siteJDRFCaFr/assets/JDRF_Branded_T1D_Overview_Fr_Final_05302018.pdf] (Consulté le 31 janvier 2019).

 

 

En 2019, Tradëm mène la campagne Guérir les maux par les mots (#GuerirLesMauxParLesMots), au profit du chef de file mondial du financement de la recherche sur le diabète de type 1, FRDJ.

 

 

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1. Les valeurs cibles moyennes se situent habituellement entre 4 et 8 mmol/L.

2. L’accumulation dans le sang d’une quantité toxique de cétones (acidocétose) se produit lorsque le corps n’a pas assez d’insuline pour transformer le glucose en énergie et se rabat sur le gras. Les personnes diabétiques de type 1 risquent de se retrouver en acidocétose lorsque leur glycémie est supérieure à 14 mmol/L ou qu’elles sont autrement malades (p. ex., elles ont la grippe). 


 


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